Comme promis voilà la suite et la fin...
Au passage, je remercie ma petite femme qui m'a bien aidé à alléger mon style de panzer et qui a travaillé avec moi à réduire les textes pour descendre sous la barre des 2000 mots.
4. Le collier de la Duchesse Le capitaine Lyos cherchait une occupation pour dissiper ses sombres pensées. Depuis toujours au service du Duc de Parnes, il était accablé par son récent assassinat. La duchesse était alitée et faiblissait et, en l’absence d’héritier, ses terres et ses gens allaient revenir à son frère, homme vil et lâche que le capitaine soupçonnait d’être à l’origine du meurtre.
Notre brave soldat aurait aimé s’opposer à cette succession. Personne n’ignorait la perfidie du comte, seul bénéficiaire de cette assassinat. Mais comment le prouver ?
Tout en se reprochant sa lâcheté, il songeait à partir, pour s’éloigner au possible de cette écœurante affaire. Arrivé au port, il se joignit à un groupe de marins qui jouaient aux dés. L’un d’eux gagnait et les autres se retiraient peu à peu, après avoir perdu quelques jours de salaire. Très vite, le soldat, distrait par ses pensées, se retrouva à sec et son partenaire se fit menaçant. Le capitaine, retournant ses poches à la recherche d’une improbable pièce pour le payer, en retira un collier que la duchesse lui avait remis lorsqu’il était venu lui présenter ses condoléances. Elle le lui avait confié avec un air implorant puis l’avait congédié, sans lui laisser le temps de s’incliner devant le comte qui se tenait près d’elle.
Et voilà qu’il allait se dessaisir de l’objet pour payer de stupides dettes de jeu. Outre sa valeur affective, le collier valait au moins mille fois sa dette remarqua-t-il en examinant le bijou. Il aperçut un papier glissé dans le fermoir. Intrigué, il le retira, le déplia et lut : « Sauvez mon enfant. » Blême, Lyos comprit que la duchesse n’avait trouvé que ce biais pour échapper à la surveillance du comte. De quel enfant parlait-elle ? Un fils illégitime n’aurait pas de raison de redouter le comte. La duchesse était-elle sur le point de donner un héritier au duc ? Un état de femme enceinte ne se remarque pas toujours sous les vêtements que porte une noble dame. Elle pouvait avoir dissimulé sa grossesse car elle n’arrivait jamais à terme. La rumeur disait que Dieu la punissait d’un grave péché. Sans doute pour ne pas prêter à nouveau le flanc aux racontars, elle avait caché son ventre rond. Cela expliquait sa faiblesse. L’enfant et elle étaient donc en danger.
Lyos parvint à se débarrasser du joueur avec une lettre de recommandation lui ouvrant les portes de la prestigieuse garde du duc et courut vers le palais.
5. Où une tragédienne assiste à une tragédie.
Bianca gagnait sa vie en déclamant chez les nobles gens des extraits de tragédie ancienne ou des poèmes élogieux. Talentueuse et spirituelle, elle avait ses entrées chez le Duc de Parnes.
L’assassinat de ce dernier la remplissait de tristesse car il était estimé de tous et amateur de théâtre. Bien qu’elle en eût un peu honte, les lois de l’estomac passent souvent avant celles du cœur, et elle avait l’intention d’aller consoler la veuve avec son art pour en retirer quelque revenu.
Bianca s’était fait annoncer chez la duchesse. Une foule de gens importants la précédait, aussi alla-t-elle flâner dans les couloirs du château. Elle s’amusait à regarder dans les pièces dont la porte était restée entrouverte. Dans l’une d’elle, une blanchisseuse versait le contenu d’une fiole sur un mouchoir. Le parfum devait être précieux car semblait ne pas vouloir le respirer de peur d’en ôter l’arôme. Elle fit tant de manières pour tenir l’étoffe éloignée d’elle qu’elle finit par la lâcher. Le ramassant de la même façon, elle ouvrit une porte au fond de la pièce et entra dans une alcôve. Des pleurs d’enfant s’en échappèrent. Se remémorant les lieux qu’elle avait parcourus , elle considéra que la dite pièce jouxtait la chambre de Madame la duchesse. La comédienne, piquée par la curiosité, voulut la suivre. A l’endroit où avait chu le tissu parfumé, elle marcha sur un objet mou. Une souris morte. En un éclair, Bianca comprit qu’en fait de parfum, il s’agissait de poison et que la duchesse était en danger. Elle se précipita dans l’alcôve. Hormis un couffin d’où sortaient des cris de bébé, la pièce était vide. Elle avisa une autre porte et se trouva bientôt dans une pièce richement décorée : la chambre de la duchesse. Stupéfaite, elle vit la blanchisseuse tendre à une femme alitée le mouchoir assassin. Elle hurla, et ce cri épouvanta les deux femmes qui portèrent leur main à la bouche. La servante amena ainsi à ses narines le mouchoir et tomba raide morte. La duchesse s’évanouit. Au même instant, entra un officier essoufflé. Lyos, puisque c’était lui, crut la duchesse morte et se précipita vers le nourrisson qui pleurait de plus belle. Bianca le vit aller et revenir portant l’héritier dans un drap. Lorsqu’il fut sorti, elle réalisa qu’elle venait d’assister à la tentative d’assassinat de la duchesse et à l’enlèvement du jeune duc. Elle courut donner l’alerte.
6. Ce qu'on trouve dans les confessionaux
Lyos, entra dans le village de Petit-Bois, village où il avait grandi et dont il connaissait le prêtre, et se dirigea au galop vers l’église. Il y pénétra mais ne s’y reposa pas, comme l’asile d’un lieu saint le permet aux fuyards. Il voulait mettre l’enfant en sécurité, puis repartir pour lancer ses poursuivants sur une fausse piste. Il reviendrait le chercher dès que possible pour porter l’affaire devant le roi. Il entra prestement dans la sacristie dans l’espoir légitime d’y croiser un abbé. En vain. Il faillit se résoudre à abandonner l’enfant ici tant il était urgent, pour sa vie même, qu’il reparte. Une bouteille de vin entamée au pied du confessionnal attira son attention. Il s’approcha et distingua de légers ronflements. S’attendant à trouver l’abbé, déjà scandalisé de le voir assoupi à cause de l’alcool, il écarta brutalement le rideau du confessionnal. Une odeur mêlée de vin et de peinture fraîche lui sauta aux narines. A la place de l’abbé, il trouva un homme, taché de peinture, qui s’éveillait péniblement sous l’effet de la lumière nouvellement parvenue jusque ses paupières. Lyos allait faire demi- tour quand il reconnu l’Aubépin. Enfants, ils avaient fait les quatre cents coups ensemble. Le capitaine s’était souvent demandé ce qu’était devenu son ami. Apparemment un peintre en bâtiment épris de boisson. Il n’avait pas le temps de s’en émouvoir. Il colla son fardeau dans les mains de l’homme stupéfait. « Aubépin, c’est moi, Lyos. Prends soin du bébé, je repasse le chercher tantôt. » Après quelques hésitations, il lui confia également le collier. Il s’empara de la bouteille qu’il enroula dans les draps de l’enfant et repartit rapidement redonner un gibier à la chasse qui était en cours.
L’Aubépin ne revit jamais Lyos. En brave homme, et par respect pour son ami qu’il savait mort, il s’occupa de l’enfant comme s’il était un de ses cinq fils. N’étant point sot, il compris l’affaire lorsqu’il compara le collier et les luxueux langes à la situation qui secouait le pays : la mort du duc et l’enlèvement de son fils. Il se saigna aux quatre veines pour lui donner la meilleure éducation. Car il le savait, c’est auprès du roi que l’enfant devrait aller réclamer son duché. Et si un paysan nanti d’un bébé n’avait aucune chance d’être reçu à la cour, un jeune homme bien éduqué et pourvu d’un bel esprit en aurait de meilleures.